LE CHRIST EN CROIX DE REMBRANDT


Le Journal du Lot-et-Garonne du 14 novembre 1850 mentionnait la découverte d'un tableau de valeur dans l'église du Mas.
Découverte ?



Visage du Christ agonisant:
Rembrandt 1631

(Photo «P.Dingreville»)

Non, car on savait déjà son origine. En 1804, une famille Duffour, originaire du Mas, partie depuis une génération à Dunkerque, aurait acheté cette toile dans une vente publique. Ne sachant quoi faire de ce grand Christ, elle l'avait envoyé au Mas, en faisant don aux paroissiens en souvenir de ses ancêtres. Le 9 janvier 1853, M. Mellingre, curé du Mas, ayant de pressants besoins d'argent pour réparer l'église, confiait le tableau à M. Irénée de Luppe pour qu'il soit restauré et mis en vente au Musée Impérial du Louvre. C'est à cette occasion, que le Duc de Fettre, conservateur du Musée et M. de Mortemare, rentoileur, attribuèrent ce tableau à Rembrandt mais il ne fut pas officiellement expertisé. La restauration terminée, la question de la vente du tableau fut soulevée. Après un échange de lettres entre le Curé Mellingre, l'évêque d'Agen et le Préfet, il fut décidé de solliciter l'aide de l'État et des fidèles pour répondre à la lourde dette de la paroisse. Le tableau réintégra sa place dans l'église du Mas. Pendant un siècle, il a séjourné, sans histoire et sans aucune protection, dans l'église, sauf pendant la guerre de 1939-1945 où le Curé Gay l'avait emporté au presbytère. L'abbé Kelly ayant succédé au Chanoine Gay retrouva le tableau caché derrière une armoire et le remit à sa place dans l'église.

En 1957, coup de théâtre ! la trace du supposé Rembrandt, ayant été retrouvée dans les archives du Musée du Louvre, provoqua la venue au Mas de délégués du Ministère des Beaux-Arts.

Mais c'est bien un Rembrandt !

Le maire de l'époque décide de le vendre, le prétendant propriété de la Commune mais l'évêque le veut à l'Évêché, le prétendant bien de l'Église ! Voulant garder ce tableau dans son église, l'abbé Kelly décide de faire un coup d'éclat, et après concertation avec le conservateur des Beaux-arts d'Agen, il porte le tableau au Musée du Louvre le 28 septembre 1959, où M.Linard, conservateur, demande une expertise. Suite fut donnée et le tableau resta au Louvre jusqu'au 13 mars 1960.

C'est la paroisse du Mas qui s'est chargée des frais en accord avec le Préfet d'Agen et M. Esterlé, inspecteur national des Beaux-Arts. Les travaux d'expertise furent dirigés par Mme Hours assistée d'un spécialiste de Rembrandt venu tout exprès de Hollande. Mme Hours présenta elle-même le tableau à la télévision et M. Burias, directeur des Archives Départementales du Lot-et-Garonne, eut le plaisir de confirmer à l'Abbé Kelly que le tableau était un authentique Rembrandt, daté et signé. Mgr Johan, évêque d'Agen, présida, le 9 mai 1960, à son retour et à son installation dans un coffre de sécurité, le ministre des Beaux-Arts ayant ordonné que le tableau retrouve sa place dans l'église mais avec une efficace protection.

De très nombreux amateurs sont venus et viennent admirer ce chef-d'œuvre à propos duquel Mgr Johan avait cité des vers de Yeats : “ A thing of beauty is a joy for ever ” et il avait ajouté : “ Quant à votre belle église, je trouve l'écrin digne du joyau ”.

En 1961, ayant eu connaissance de l'expertise du tableau, un groupe d'experts allemands, conduits par le Professeur Bauch de Fribourg, venait dans l'église du Mas voir le Rembrandt et déclarait que ce tableau faisait bien partie de la collection du Prince Frédéric Henri d'Orange Nassau de La Haye. Six autres tableaux de la même série font l'orgueil de la Pinacothèque de Munich. Un mois plus tard, Von Bauch écrivait dans le Panthéon de Berlin ” : “ C'est une petite église dans le Sud-Ouest de la France qui possède le fleuron de notre collection ”.

Le Prince Frédéric Henri d'Orange Nassau avait commandé ces tableaux à Rembrandt. Le premier, le plus beau, celui qui est au Mas fut peint par Rembrandt en 1631. L'artiste, né à Leyde en 1606, avait donc 25 ans. Six tableaux, tous de même forme arrondie du haut et de mêmes dimensions, sont à la Pinacothèque de Munich. Il s'agit de :

    - L'Érection de la Croix, peint en 1634.
    - La Descente de Croix, peint en 1634.
    - L'Ascension, peint en 1636.
    - La Mise au Tombeau, peint en 1639.
    - La Résurrection, peint en 1639.
    - L'Adoration des Bergers, peint en 1646.

Les cinq premiers tableaux composent avec “ le Christ en Croix” du Mas, la Passion mais on peut constater que Rembrandt na pas suivi l'ordre chronologique de la Passion du Christ tout au moins pour le premier, celui qui est au Mas D'agenais.

Comment ce splendide tableau est-il venu au Mas ?

La famille Duffour ne se doutait évidemment pas de la valeur de cette toile ! C'est un des fils Duffour : Xavier capitaine des armées impériales qui l'a apportée au Mas alors qu'il se rendait en mission en Espagne.

Comment le tableau a-t-il échoué dans une vente publique? Cela, on ne le sait pas. A-t-il été donné à un seigneur ou à un courtisan qui se serait ruiné ? A-t-il été volé lors des guerres napoléoniennes en Hollande ? Cela restera un mystère !

En 1970 la pinacothèque de Munich aurait fait une offre d'achat de 3 milliards de centimes ! Le tableau fut prêté pour l'exposition du siècle de Rembrandt au Petit Palais de Paris de novembre 1970 à février 1971 et, plus récemment, en 1989 pour un mois, a une exposition à Bordeaux. Il fut assuré à cette occasion, pour près de deux milliards !

En 1988, après une tentative de vol, le coffre en bois fut remplace par un coffre métallique , muni d'un vitrage à l'épreuve des chocs les plus violents, le tout protégé par un système d'alarme électronique des plus perfectionnés. Un dispositif d'éclairage et de sonorisation permet aux nombreux visiteurs d'admirer le trésor de la collégiale du Mas-d'Agenais en écoutant un commentaire dans la langue souhaitée : Français, Hollandais, Anglais, Allemand.

La ville de Leyde, en Hollande, ville natale de Rembrandt ayant décide de présenter les œuvres de jeunesse des deux amis Rembrandt et Lievens, notre tableau a été demandé pour figurer dans cette exposition. Après l'accord du Ministre de la Culture et des Beaux-arts, de la Municipalité et du Conseil Paroissial, ” Le Christ Expirant ” est parti pour la Hollande où il est resté du 5 décembre 1991 au 1er mars 1992. Le transport et le séjour du tableau au Musée de Lakenhall à Leyde ont exigé de très grandes précautions et, pour le Mas, la garantie d'une assurance de deux milliards de centimes.